Soudan: Un Expert Nous Décrypte le Conflit et Ses Enjeux

International

25/04/2023

Les combats font rage depuis une dizaine de jours à Khartoum et dans la région du Darfour, dans un pays écartelé entre les volontés de pouvoir de deux généraux rivaux.

Par Vincent Gibert

Cette capture tirée d’une séquence vidéo de l’AFP montre une vue aérienne d’une fumée noire couvrant le ciel au-dessus de Khartoum, au Soudan, le 19 avril 2023.

SOUDAN – De centaines de morts, un conflit entre deux généraux et des évacuations en urgence des ressortissants étrangers. Depuis le 15 avril, plus de 420 personnes ont été tuées et des milliers blessées, selon l’ONU, dans le conflit qui a éclaté au Soudan, en Afrique du Nord-Est.

L’armée   du   général  Abdel  Fattah  al-Burhane,  dirigeant  de   facto du pays depuis le putsch de 2021, et les paramilitaires de son adjoint devenu rival, le général Mohamed Hamdane Daglo, s’affrontent dans d’intenses combats, principalement dans la capitale Kharthoum et dans la région du Darfour à l’Ouest, l’une des plus pauvres au monde.

La France – à l’instar d’autres pays comme l’Allemagne, l’Espagne ou la Chine – organise l ’ é v a c u a t i o n p r o g r e s s i v e d e s e s ressortissants (209 Français depuis dimanche) et a fermé son ambassade « jusqu’à nouvel ordre », selon le ministère des Affaires étrangères.

Si un cessez-le-feu de 72 heures, conclu entre les belligérants sous l’égide des États-Unis, est censé entrer en vigueur ce mardi 25 avril, la situation n’en reste pas moins sous haute tension et les affrontements pourraient reprendre de plus belle.

Afin de prendre du recul sur ce conflit et ses enjeux, Le HuffPost a demandé à un expert de la région soudanaise de le décrypter. Jabeur Fathally, professeur de droit à l’Université d’Ottawa et directeur par intérim du Centre de recherche et d’enseignement sur les droits de la personne (CREDP) au Canada, répond à nos questions.

Le HuffPost : Comment résumer rapidement les enjeux du conflit actuel au Soudan ?

Jabeur Fathally : C’est un conflit entre deux généraux, Abdel Fattah al- Burhane et Mohamed Hamdane Daglo – dit « Hemedti » –, tous deux caciques du régime du président destitué Omar el-Béchir. Ils ont des ambitions et des intérêts personnels divergents d’ordre politique : chacun se voit comme étant le mieux placé et le plus légitime pour gouverner le Soudan ; et d’ordre mercantile et clanique : pour se « remplir les poches » et mettre la main sur les richesses du pays.

Les deux généraux ont aussi des agendas politiques régionaux et des soutiens internationaux différents. Hemedti et les miliciens des FSR (Forces de soutien rapide) sont soutenus par les Émirats arabes unis, la plus grande partie de l’or soudanais étant destiné au marché émirien. Ils bénéficient aussi du soutien indirect de la Russie et de l’Éthiopie. Abdel Fattah al-Burhane est lui soutenu par l’Égypte, pour contrecarrer l’Éthiopie, et par les États-Unis.

Comment en est-on arrivé là ?

Je dirais que tout indiquait que ce conflit allait éclater un jour ou l’autre. Ce n’était pas un événement imprévisible. La rivalité au sein de l’armée soudanaise (al-Burhane) et des FSR est un secret de Polichinelle. Il en est de même de la volonté de l’armée de maintenir le pouvoir, de diriger l’État et de mettre la société civile à l’écart.

Depuis l’indépendance de 1956, l’histoire du Soudan n’est qu’une succession de coups d’État militaires. Le conflit actuel qui oppose les deux généraux n’est que l’illustration de cette rivalité. Ils n’étaient pas convaincus par la cohabitation et le partage de pouvoir négociés en 2021. Pour preuve, méfiant et se sentant menacé, Hemedti n’a jamais accepté d’intégrer ses miliciens des FSR dans l’armée soudanaise. Abdel Fattah al-Burhane n’a lui jamais fait confiance à ce « petit officier » venant du Darfour. Les interventions étrangères n’ont fait qu’attiser cette méfiance réciproque et ont accéléré l’affrontement entre les deux camps.

Le conflit peut-il durer et s’enliser ?

Il s’agit d’un scénario à ne pas exclure. Cependant, il y a un point « positif » si on peut le qualifier ainsi dans ce conflit : en dépit de la divergence de leurs intérêts, tous les intervenants dans ce conflit sont d’accord qu’un enlisement ne serait dans l’intérêt d’aucune partie et qu’il pourrait déstabiliser non seulement le pays, mais également toute la région de l’Afrique de l’Est. Le Soudan a des frontières avec sept pays, tous en quête de stabilité politique et territoriale.

L’enlisement du conflit impliquerait un mouvement massif de réfugiés et des ramifications territoriales et politiques dans la région. C’est pourquoi je pense que les acteurs régionaux (Égypte, Éthiopie…) et internationaux (États-Unis, Chine, Russie et Union européenne) vont exercer une pression sur les belligérants afin de limiter l’étendue du conflit, et engager des pourparlers pour tracer la feuille de route d’un possible accord entre les parties.

Pourquoi les grandes ambassades évacuent leurs ressortissants du pays et pourront-ils un jour y revenir ?

Les ambassades ont l’obligation de fournir assistance et secours à leurs ressortissants. Les évacuer fait partie de cette obligation d’assistance. Leur retour dépendra de l’évolution de la situation sur le terrain.

Des fuites en masse de la population civile sont-elles à prévoir ?

Les civils sont toujours les premières victimes des conflits armés. La population soudanaise est aujourd’hui prise en otage par les deux belligérants. D’autres centaines de milliers de réfugiés et déplacés vont s’ajouter aux plus de deux millions de réfugiés et déplacés soudanais dans les pays limitrophes (victimes des violences sporadiques au Darfour et de la crise climatique, NDLR). L’enlisement du conflit ne ferait qu’aggraver la crise humanitaire dans le pays et la région.

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